A quoi pensons-nous d'abord quand il est question de la disparition de langues ? La première pensée de beaucoup irait vers des langues mortes comme le grec ancien, le sanskrit, le copte. C’est juste. Mais la triste réalité est que la disparition des langues n’est pas un phénomène du passé. En réalité, tous les trois mois, une langue est effacée de la surface de la Terre. Et un peu de la connaissance du monde meurt avec elle.
Que perdons-nous quand une langue disparait ?
Le langage est notre principale mode de communication, une façon de définir notre identité, d’exprimer notre histoire et notre culture, d’apprendre et de participer à la vie sociale. Sachant que la grande majorité des cultures du monde s’exprime de façon exclusivement orale, la langue parlée est la mémoire de l’héritage, des traditions et des valeurs d’un grand nombre de communautés. Quand les derniers locuteurs d’une langue indigène meurent, des coutumes et une manière unique de percevoir le monde meurent également.
Un grand nombre de linguistes alertent sur l’évanouissement des langues à une vitesse alarmante, bien plus rapidement que par le passé. Il a été estimé que sur quelque 7000 langues existant aujourd’hui dans le monde, 40 % seraient menacées d’extinction. La majorité d’entre elles sont des langues indigènes. Avec elles, des cultures entières sont en danger.
2019, année internationale des Langues Indigènes
C’est ce constat qui a amené l’assemblée générale de l’ONU à proclamer 2019 année internationale des Langues Indigènes (IYIL2019), confiant à l’Unesco le rôle de coordinateur de l’événement. Cette initiative a pour but d’attirer l’attention sur le besoin de protéger et de promouvoir les langues indigènes, et de mettre en lumière leur importance dans le développement social, économique et politique des sociétés.
L’Unesco, rejoint par des gouvernements, des associations représentant les peuples indigènes, et des chercheurs, a développé un plan d’action et publié une feuille de route pour atteindre les objectifs de l’année internationale des Langues Indigènes. Les principaux axes en sont :
- Renforcer la compréhension, la réconciliation et la coopération internationales.
- Créer les conditions nécessaires au partage de la connaissance et à la diffusion de bonnes pratiques dans le domaine des langues indigènes.
- L’affirmation des peuples indigènes par le moyen d’un accès équitable et inclusif à l’éducation, spécialement dans les régions où des langues indigènes sont parlées.
- L’inclusion des langues indigènes dans les politiques nationales et des plans stratégiques.
- Une croissance par le développement de nouvelles connaissances, basées sur l’héritage culturel et linguistique et la propriété intellectuelle des peuples indigènes.
Vous pouvez vous investir dans IYIL2019 de multiples manières, à la fois comme membre d’une organisation, ou bien en tant qu’individu. N’oubliez pas de consulter le site web de l’événement pour tout savoir sur les langues indigènes, et prendre part aux nombreux événements et activités organisés sur ce thème.
Pourquoi des langues meurent
Une langue meurt quand elle n’est plus utilisée dans un domaine d’activité et, en conséquence, cesse de se développer comme moyen de communication. Dans l’histoire de l’humanité, les langues de groupes sociaux nombreux se sont répandues rapidement, quand celles utilisées par des cultures plus restreintes en population n’avait pas la possibilité de faire face, et se sont éteintes. Cela se produit à travers les politiques des langues officielles ou à travers le prestige de certaines langues.
Une autre explication à la disparition des langues est la mobilité. De nos jours, les personnes voyagent beaucoup, changent de lieu de résidence pour trouver du travail. Elles sont alors amenées à délaisser leur langue maternelle au profit de langues plus communément utilisées, des langues universelles. Parce que c’est plus commode, et aussi parce qu’elles veulent s’adapter aux tendances mondiales.
Il arrive souvent qu’une langue soit annihilée par des politiques ou une idéologie étatiques. C’est ce qui est arrivé au ter sámi, utilisé par le peuple sámi, de la péninsule de Kola. Dans les années 1930, Staline a interdit l’utilisation de ce dialecte dans les foyers et les écoles. Conséquence de l’endoctrinement communiste, de la russification, des migrations et des évolutions culturelles, le nombre de ses locuteurs a rapidement décliné. Aujourd’hui, le ter sámi n’est plus parlé que par deux personnes âgées.
Une histoire similaire peut être racontée au sujet de l’Australie. Avant la colonisation, on estime que cette île-continent comptait environ 250 langues ! Malheureusement, suite à la politique du Commonwealth, la plus grande part de cette diversité linguistique a été perdue au fil des ans, avec seulement aujourd’hui 10 % des populations indigènes d’Australie pratiquant leur langue d’origine à la maison. Par le passé, les langues aborigènes étaient vues par les colons comme seulement des grognements et des gémissements, et de grands efforts ont été faits pour les bannir et les remplacer par l’anglais.
Aujourd’hui, les mentalités ont changé :les langues maternelles sont enseignées dans les écoles aborigènes, et il est possible d’étudier les langues indigènes à l’université de Sydney. Les communautés locales commencent à porter fièrement la diversité de leur héritage linguistique. Mais il reste beaucoup à faire pour les préserver.
Pourtant, idéologie et politique peuvent aussi ressusciter des langues disparues. Ce fut le cas pour la langue cornique, qui jusqu’au XVIIIe siècle était parlée par les habitants de Cornouailles, en Grande-Bretagne.
Au XXe siècle, dans le sillage des idées séparatiste et du nationaliste dans cette région, le cornique a reparu. Aujourd’hui, il est parlé couramment par 300 à 400 individus, et environ 5000 personnes en possèderaient une connaissance rudimentaire. Grâce à une décision politique, le gaélique irlandais, autrefois regardé de haut comme un « dialecte rural », est devenu langue officielle de l’Irlande, au même titre que l’anglais. Aujourd’hui, il est parlé par un quart de millions d’Irlandais.
Que faire?
Pouvons-nous faire quelque chose pour mettre fin à la disparition de tant de langages ? Selon l’Unesco, les régions comptant le plus de langues menacées sont l’Inde (196), les États-Unis (192, principalement celles de tribus amérindiennes), l’Indonésie (147), la Chine (144), et la Russie (136). Et, malheureusement, sauver une langue menacée peut s’avérer bien plus ardu que de protéger des espèces animales en danger. Une langue ne peut être sauvée si personne ne souhaite plus la parler.
Paradoxalement, alors que la mondialisation et les technologies modernes qui l’accompagnent sont habituellement considérées comme des menaces pour la diversité culturelle, elles peuvent contribuer à sauver des langues.
Vous pouvez partager les ressources de IYIL2019 et le calendrier des événements qui y sont liés, et ainsi attirer l’attention sur l’importance de la préservation des langues. Des vidéos et des podcasts peuvent être utilisés pour enregistrer des langues menacées.
Enfin, il existe un grand nombre de plateformes de collecte de fonds qui contribuent à financer des actions de sauvegarde de langues menacées d’extinction. Un exemple notable de réussite de ce type de campagne concerne la création d’une chaine de télévision en cornique, lancée en 2018.